On parle souvent du plaisir de lire. Ce plaisir est-il toujours présent avec un livre numérique ?
« J'aime les beaux livres, le beau papier. J'ai même quelques livres dans ma bibliothèque en papier vergé et filigrané. Mais en fait, comme tout le monde, je lis du texte et non du papier. Et le plaisir provient de la force de l’œuvre, pas de son support. Il y a 3 ans, passé l'attrait de la nouveauté, je me suis vite aperçu que lire sur liseuse n'apportait aucune modification dans ma manière de lire. »
Quels sont d'après vous les atouts du livre numérique ? Les inconvénients ?
« La dématérialisation est un avantage évident. Elle permet une diffusion large et un accès immédiat aux documents. Malheureusement, les éditeurs l'envisagent aujourd'hui à rebours car ils ont peur de la reproduction à l'infini via le pear to pear. Internet bouleverse des pans entiers de notre économie. L'informatique a engendré la financiarisation des activités et les délocalisations en chaine. Internet ne bouleverse pas simplement la presse, l'édition musicale. Aujourd'hui, l'édition de livres et tous les métiers annexes, dont celui de libraire, sont touchés. Je ne suis pas la pythie du web. Je n'ai aucune fascination pour les tablettes. En revanche, je trouve que l'encre électronique est une invention majeure. Imaginez un papier souple doté d'un processeur souple qui se recharge à l'infini où que l'on soit grâce au réseau ! Le hic, c'est que l'on ne sait pas bien accompagné les sauts technologiques. Au lieu d'investir dans une technologie d'avenir et accompagner ceux qui en sont « victimes », les corporations freinent et chacun cherche à conserver ses avantages. »
Qu'est-ce qui change pour les auteurs ?
« Editer devient plus facile. Publie.net créé par François Bon démontre tous les jours que les auteurs peuvent reprendre le pouvoir dans la chaine du livre. Car sans auteur pas de livre. Aujourd'hui, l'éditeur n’a même pas le pouvoir. Le distributeur, lui, impose les marges. »
Et les droits d'auteurs…
« Le droit d'auteur... un miroir aux alouettes qui permet surtout à quelques éditeurs de vivre assis sur un catalogue et à des ayant droits de gagner de l'argent d'une manière indue. Appeler droit d'auteur un contrat qui lie l'auteur à son éditeur presque à vie et rétribue celui-ci à hauteur de 6% du prix de livre vendu, c'est une supercherie ! »
Leur manière d’écrire est-elle bouleversée ?
« Les écrivains écrivent aujourd'hui presque tous sur un ordinateur. De nombreux auteurs publient directement sur leurs blogs. Après, certains imaginent des textes à plusieurs couches. Ainsi, le lecteur pourrait accéder à l'intertextualité plus facilement. Pour ma part, créer des livres numériques comme on créait des cd-rom il y a dix ans, je n'y crois pas trop. Il y aura sans doute des inventions dans le domaine. L'epub dans sa version 3 ouvre de nombreuses voies. »
Certains parlent de la mort du livre et de son industrie... Qu'en pensez-vous ?
« J'ai peur du contraire. J'ai peur d'une concentration maximum avec une réduction des intervenants. Je travaille tous les jours pour démontrer le contraire. Toutefois, en France, on critique facilement les multinationales, mais on ne va acheter que chez eux. Small is not beautiful dans nos contrées. L'invention est pourtant dans les marges. Amazon n'invente pas plus dans le domaine de la librairie en ligne que dans le numérique. Cette société utilise sa capacité financière énorme pour écraser la concurrence. Et Hachette n'a pas révolutionné l'édition numérique. J'invite les lecteurs attentifs à observer ce qui se passe ailleurs... sur publie.net, sur bibliosurf... »
Si vous aviez un vœu à formuler ?
« En tant que libraire en ligne, j'aimerais réactiver la fabrique artisanale de texte et le cabinet de lecture entre passionnés. »
{jcomments on}