Avis d'expert par Stéphane Roder, CEO et Fondateur de AI Builders
L'introduction de l'intelligence artificielle va donner lieu à une nouvelle vague de modifications des chaines de valeur. La désintermédiation comme la réintermédiation sont des phénomènes destructeurs de valeur pour l'entreprise contre lesquels elle doit se prémunir dès aujourd'hui avec une stratégie offensive.
Il aura fallu plus de 15 ans aux entreprises, toute industrie confondue, pour comprendre que la digitalisation de leur environnement leur imposait de réaliser leur « transformation digitale ». En attendant, que n'avons-nous vu d'accidents industriels majeurs décimant des pans entiers d'industrie en quelques mois. Apple avec iTunes a ruiné les disquaires avant que le streaming ne les achève, Amazon a fait disparaitre de notre paysage nos bons vieux libraires et s'attaque maintenant à la grande distribution, Netflix avec son abonnement a réduit à la portion congrue les chaînes de la TNT, LastMinute a montré la voix de l'achat du voyage en ligne et décimé les agences de voyages sans parler de Booking qui fait la pluie et le beau temps de toute l'industrie hôtelière pendant que Airbnb la saborde gentiment.
La liste est trop longue mais en intégrant avec du retard les enjeux stratégiques de ces technologies du digital, ces industries, ces sociétés, aveuglées par leur position dominante et leur business model n'ont pas su prendre les positions à porter de main laissant de nouveaux intermédiaires digitaux venir s'insérer dans leur chaine de valeur ou les faire passer de vie à trépas. D'abord utilisés dans le domaine bancaire, ces concepts ont été repris par le marketing. On parle de désintermédiation quand l'intermédiaire disparait (les disquaires, ) et de réintermédiation quand un nouvel intermédiaire vient s'insérer dans une chaine de valeur (Booking, ).
L'Intelligence artificielle va faire de même dans des proportions et des ordres de grandeur d'une autre magnitude si nous n'y prêtons pas attention.
Au-delà du fantasme anthropomorphique que beaucoup voudraient attribuer à l'IA, cette technologie permet de reproduire quelques raisonnements et ouvre la voie à de nouvelles interactions avec la machine. Grâce à leurs facultés d'apprentissage, ces nouveaux algorithmes digitalisent des savoir-faire, des expertises et permettent de faire des recommandations en raisonnant sur un très grand nombre de paramètres, sur des contextes complexes, des signaux faibles et leur temporalité, l'historique. C'est ce que l'on appelle le caractère « prescriptif » de l'intelligence artificielle.
Cette nouvelle capacité à valoriser des données en produisant des recommandations doit être préemptée au plus vite à travers des offres prescriptives pour consolider des positions dans les chaines de valeur. Airbus vend aux compagnies aériennes de la maintenance prédictive basée sur les données qu'il récolte sur chaque avion et augmente la durée de vie des pièces plutôt que de les mettre au rebu sur des durées de vie fixes. Le constructeur de drone DelAir propose déjà des analyses des vidéos rapportées par ses drones pour déterminer le besoin d'élagage des voies TGV en reconnaissant la vitesse de pousse des espèces végétales présentes sur le parcours. Ces deux sociétés ont valorisé les données qu'elles produisent pour créer de nouvelles offres sans attendre que de nouveaux intermédiaires voient le jour et s'immiscent dans leur chaine de valeur.
Quand ces capacités prescriptives sont combinées avec du traitement du langage naturel, il est possible de rentrer dans des cas d'usage d'interaction simple avec l'humain comme par exemple la compréhension d'un besoin, puis d'un contexte pour déboucher sur une proposition personnalisée de produits. Les sociétés d'asset management, qui auparavant distribuaient leurs produits financiers à travers des conseillers en patrimoine, vont vendre en direct leurs produits aux particuliers. Dans une offre très complexe, le client disposera d'outils de conseil pour avoir accès à des recommandations de fonds adaptés à son profil d'investissement. En désintermédiant leur distribution, ces industriels écartent le risque de se faire réintermédier par un acteur qui pourrait intégrer leur savoir-faire avec de l'IA et capter une partie de la valeur en proposant leurs produits à la vente.
Les start ups sont les plus fragiles vis-à-vis de cette nouvelle vague de réintermédiation. Après avoir passé 4 ou 5 ans à faire du développement classique, conquérir un marché et atteindre l'équilibre, dans la très grande majorité des cas, l'IA est totalement absente de leur culture. Ces petites merveilles devront elles aussi se défendre pour ne pas disparaitre, écrasées par de nouveaux entrants utilisant les mêmes données avec une offre prescriptive. Il leur faudra elles aussi savoir se transformer. Un vrai challenge pour ces sociétés à la capacité d'investissement réduite ou plutôt un vrai souci pour leurs actionnaires et fonds d'investissement qui n'ont pas intégré ce besoin de financement.
Tous les acteurs de l'industrie vont être concernés par les effets de la possible réintermédiation prescriptive de leur chaine de valeur. Il ne leur faudra pas s'arrêter à la simple augmentation des métiers avec l'IA et intégrer au plus tôt cette analyse stratégique à leur Schéma Directeur IA pour éviter que ces opportunités ne se transforment à long terme en réel danger.